titre4

Enregistrer

Le gaspillage de l'énergie
Le progrès économique tel que nous l'avons connu jusqu'ici est intimement lié à la consommation de ressources non renouvelables, en particulier les combustibles dits " fossiles " (charbon, lignite, tourbe, pétrole, gaz naturel ou dérivé des précédents, uranium).
Le Produit Intérieur Brut annuel (PIB), utilisé par les économistes pour mesurer la richesse des pays et de leurs habitants, et par les états eux-mêmes pour leur comptabilité nationale, est d'autant plus élevé que la consommation annuelle d'énergie par habitant est importante. Celle-ci est exprimée en tonnes équivalents pétrole (tep), ce qui correspond à la fois au chauffage (sauf le bois), à l'éclairage (électrique, principalement) et à divers usages mécaniques (agriculture mécanisée, industrie, transports individuels et collectifs), mises à part la traction animale et les activités physiques humaines.
Le tableau suivant en donne quelques exemples (PIB par habitant en 1999, exprimé en dollars US, d'après Statistiques Suisses et d'autres sites internet ; tep par habitant pour 1999, extraits de l'Atlaséco 2003, édité par MédiaObs, 75081 Paris Cedex 02) :

Pays  PIB/h  tep/h
États-Unis  33 850  8,376
Canada  26 424  7,979
Finlande  22 696  6,476
Suède  22 934  5,772
Australie  16 715  5,756
France  21 988  4,333
Allemagne  23 669  4,110
Japon  24 628  4,078
Russie  2 000**  4,120
Autriche  24 746  3,519
Pologne  2 356  2,400
Brésil  3 360*  1,070
Chine  3 800  0,870
Inde  1 800  0,480
Maroc  3 546*  0,350
Bangladesh 208 0,140
Sur un graphique (Fig. 1) de la consommation d'énergie en fonction du PIB, traçons une droite à partir de l'origine, en la faisant passer par le point qui représente le cas de la France. Les points qui se situent au-dessus de cette droite sont ceux des pays gaspilleurs d'énergie, riches (États-Unis, Canada, Finlande, Suède, Australie) ou pauvres (Russie, Pologne). En dessous, on trouve des pays économes, bien que riches (Autriche, Japon, Allemagne).
Les gaspilleurs sont sans doute des pays immenses (coût des transports) et froids (chauffage), mais cela n'explique pas tout. Les USA sont les champions du progrès technique, industriel et scientifique, leur production est massive dans tous les domaines d'activité, leurs ressources naturelles sont grandes, sauf pour le pétrole. Leur climat n'est pas rigoureux. À l'opposé, la Russie dispose de réserves énergétiques énormes et continue de gaspiller l'énergie plus que tout autre pays, si l'on tient compte des maigres résultats de son économie (PIB/habitant).

Rééquilibrage ou conflit ?
La nation la plus nombreuse, la Chine, se développe rapidement et consomme donc de plus en plus d'énergie, bien que ses réserves, par habitant, soient très inférieures à celles du reste du monde. Quelque 60 % des ménages ruraux dépendent encore du bois, de la paille et des tiges de plantes pour obtenir de l'énergie. Un alignement quantitatif sur la consommation des autres pays paraît impossible. Il en est de même, en général, pour les autres pays peu développés, surtout lorsqu'ils sont victimes d'une démographie incontrôlée (Inde).

(*) Valeur en 2 000. Au Brésil, fluctuations importantes.
(**) Approximatif. On donne par ailleurs la valeur 827. Mais cela ne change rien à notre propos.

Un obstacle supplémentaire au développement vient de surgir sur la scène mondiale : l'obligation d'une diminution globale de l'émission de CO2 (gaz à effet de serre). On tente de dominer la situation, profondément inégalitaire comme nous venons de le voir, en négociant des " droits à polluer par le carbone ", dans le cadre de conventions entre états.
En valeur absolue, aussi bien que par habitant, la nation la plus dépensière est celle des USA. Cela pose un grave problème au reste du monde, dans la mesure où les principales compagnies pétrolières sont les siennes, où ses gouvernants refusent de prendre en compte officiellement la situation de crise environnementale et énergétique qui s'annonce, et essaient d'étendre leur influence sur les pays dont le sous-sol contient les principales réserves d'hydrocarbures (Moyen-Orient, Asie Centrale, etc.). Ils puisent en priorité dans les gisements pétroliers de ces régions, en ménageant les leurs, assez faibles (12e rang pour les réserves de pétrole, mais 3e producteur derrière l'Arabie Saoudite et la Russie). Grâce à une fiscalité très modérée, le prix de l'essence aux USA est très bas, les voitures sont gourmandes (donc in exportables vers Europe) et l'aménagement des villes comme des campagnes ne permet pas de se déplacer sans voiture, dans la plupart des cas. Les Américains du Nord consomment donc une partie disproportionnée du pétrole mondial, par rapport à leur population (Fig. 2) :

En 2001, l'énergie produite dans le monde provenait à 78% du charbon, du pétrole et du gaz naturel, à 17% du bois et de quelques autres sources d'énergie renouvelables (hydroélectricité, surtout) et à 5% des centrales nucléaires (mais 35% en France, où 76% de l'électricité est d'origine nucléaire, contre 35% dans l'Union Européenne).

Faire face
En 2001, les réserves connues correspondaient à une consommation d'une durée de 40 ans pour le pétrole, 56 ans pour le gaz naturel, 197 ans pour le charbon et 417 ans pour l'uranium. Le charbon est en régression et semble condamné par la lutte contre l'effet de serre. Même condamnation pour le bois, ressource renouvelable. Bois, charbon et pétrole sont par ailleurs très polluants. L'énergie hydroélectrique plafonne ; elle saccage les cours d'eau. Le nucléaire pose des problèmes graves (production de plutonium, prolifération des armes atomiques, sort des déchets à longue durée de vie, accidents). Les interrogations actuelles sur son avenir sont également liées à son coût (investissements énormes, coût du démantèlement des centrales). Mais l'Union Européenne importe 50% de son énergie, et il est probable qu'elle sera dans l'impossibilité d'abandonner le nucléaire. De plus, si nous abondonnons le nucléaire, d'autres seront sans doute amenés à le développer (Japon, Chine, Inde, etc.). Abandonner brutalement le nucléaire, c'est condamner son économie, renoncer à son savoir-faire de constructeur et de gestionnaire de centrales atomiques, et par conséquent devoir renoncer à intervenir dans les discussions internationales sur la sûreté nucléaire.
La fusion nucléaire tiendra-t-elle ses promesses ? Pourra-t-on produire à bas prix et utiliser sans danger l'hydrogène, combustible idéal puisqu'il ne produit que de l'eau ? La recherche continue dans ces domaines. Les investissements nécessaires sont énormes, dépassant le cadre national. Par contre, l'énergie solaire, renouvelable, est à peine exploitée et offre un potentiel très intéressant pour l'habitat individuel dans nos régions. Les autres procédés exigent aussi de gros investissements et leur impact sur l'environnement est à craindre : éoliennes, systèmes d'exploitation des vagues et des marées, géothermie. Tout le monde ne dispose pas de volcans exploitables, comme l'Islande. On sait depuis longtemps que ces " énergies alternatives ", comme les appellent les militants antinucléaires, sont incapables de se substituer aux sources actuelles d'énergie. Elles ne pourront jouer qu'un rôle d'appoint, localisé.
La seule solution sage consiste donc à faire des économies d'énergie. Rénover l'habitat et fixer des normes sévères pour l'isolation et l'éclairage des locaux. Réduire la circulation automobile et réduire la consommation (donc la vitesse) des véhicules. Taxer encore davantage l'énergie, en particulier selon le principe pollueur-payeur. Ne pas croire que la population mondiale, ni celle de chaque pays, est destinée à croître indéfiniment, sans catastrophes.

Nous n'avons qu'une seule Terre.

                                                                                                                            Pr. Jean Mellinger

Fig. 1

Fig. 2

Enregistrer