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Slasch était très en colère. La limite du supportable était dépassée.

Sur quelque 50 m de distance, il y en avait à présent vingt-deux. VINGT- DEUX !!! De toutes les tailles, de tous les styles, de toutes les marques.
SA Bruche n'était plus une rivière, surtout cette partie située entre les vannes et la roselière. Son territoire préféré était devenu une décharge de pneus ! Une DÉCHARGE!! Un DÉSASTRE !!!
Slasch, le cingle plongeur, petit oiseau à redingote gris-beige, au jabot blanc et à culotte rousse, aimait tout particulièrement cet espace-là : le confluent de la Bruche et de la Mossig; pas trop profond, avec juste ce qu'il faut de courant pour lui permettre de se livrer à son exercice favori. Se lancer depuis la troisième arche du barrage où il avait construit son nid et plonger à contre- courant dans la rivière, puis avancer en marchant sur le fond en picorant de-ci, de- là, tout en progressant, quelques phryganes ou porte-bois ou encore de tout petits vairons.
II lui fallait trouver une solution et d'abord organiser une réunion avec les autres résidents du territoire.
Floup, le rat musqué, se fit un peu tirer l'oreille. Emrod, le colvert, et Duvette, sa compagne, approuvèrent. Loncou, le héron, Trait d'azur, le marlin-pêcheur et Courtequeue, le ragondin, répondirent à son appel. Manquaient les représentants de la famille poisson.
La réunion eut donc lieu au pied de l'écluse pour permettre à Ecaille d'or, la carpe, et Faria, la truite, d'y prendre part.
Le constat était simple : ces pneus avaient été mis là par des humains, il fallait que des humains les retirent. Mais comment les y contraindre ?

Floup et Courtequeue, les sentinelles permanentes du site, avaient remarqué que le père Charles, un pêcheur au demeurant bien sympathique et peu gênant pour la gent piscicole, installait régulièrement son pliant en haut du barrage, lançait sa ligne puis, très rapidement, piquait un petit somme.
En étant très prudente, Écaille d'or qui, de toute façon, dégustait régulièrement ses appâts sans se faire prendre, pourrait délicatement accrocher son hameçon dans un des pneus. Ainsi fut fait.
Après la troisième rupture de ligne, le père Charles, si calme d'habitude, tempêta de sa grosse voix, prit à témoin Gilbert qui passait par là et lui fit remarquer qu'il fallait absolument faire quelque chose, que ce n'était plus possible, que la Bruche était une poubelle pleine de pneus et que si rien n'était fait, il déchirerait sa carte de pêche et surtout irait pécher ailleurs. Pour Gilbert, cela était inacceptable.
Slasch et ses compagnons, qui assistaient à la scène, bien dissimulés, se dirent que la première étape de leur stratagème avait fonctionné.

Gilbert alerta Hubert qui en parla à Albert lequel, avec la complicité de Norbert, se débrouilla pour trouver un engin de levage qui, depuis le barrage, serait en mesure d'arracher ces pneus au lit de la rivière.
Ils y passèrent un samedi entier et cela provoqua un beau remue-ménage. Mais au soir, il n'y avait plus de pneus dans ce secteur de la Bruche.
Dimanche matin, très tôt, Slasch décolla de son arche, plongea dans sa rivière et fit une formidable moisson de larves qu'il ramena à Sila, sa compagne, laquelle ne quittait pas les cinq oeufs qu'elle couvait. Puis, poussant un "zrrüitt" très appuyé, il effectua, comme un sportif satisfait, un tour d'honneur au-dessus de son territoire en saluant tous ses camarades et en les remerciant.

Comme quoi les humains peuvent être bien bêtes, mais les bêtes pas si bêtes que ça !

Robert Blosser

* Extrait des "Contes de la Bruche" (à paraître)

 

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